Adilla Diouman-Mosafeer : « Un budget courageux serait un budget qui ne tient pas en compte les prochaines élections, mais qui remet sur les rails l’économie »

Femme active, mais, surtout une entrepreneure épanouie, Adilla Diouman-Mosafeer, directrice de Talent et fondatrice de HR Café, parle ouvertement de ses impressions sur l’actuelle situations économiques. Elle évoque le découragement des entrepreneurs face à de lourdes charges patronales, mais aussi, de ses attentes budgétaires. 



Depuis l’année dernière, les Mauriciens traversent de sombres périodes, avec notamment les prix des denrées alimentaires qui ne cessent de grimper. Votre avis.

Effectivement, beaucoup de Mauriciens font actuellement face à des périodes difficiles. Les post-effets de la Covid et les craintes liées à la pandémie, ont engendré des situations complexes. Cependant, il y a une reprise car nous constatons des mouvements positifs au niveau de l’économie. Je ne qualifierai donc pas cette période de ‘sombre’ mais une période nouvelle à laquelle nous devrons nous adapter, évoluer et sortir des pratiques d’avant la Covid. C’est un ensemble socio-économique à lequel il nous faut repenser. Par exemple, nous ne voyons pas d’initiative entrepreneuriale au niveau de l’agriculture. Nous continuons à importer la majeure partie de nos denrées.

Il est important de souligner que, dans le dernier Budget, le gouvernement avait décidé d'allouer Rs 1000 à ceux touchant un salaire en dessous de Rs 50 000. Cela fait suite à la cherté de la vie. Pensez-vous que cette mesure pourrait être réitérée dans le Budget 2023/2024 ?

Si c’est le cas, cela va malheureusement engendrer une spirale infernale.  Prenons l’exemple de la France, qui s’est engouffrée dans un système où elle ne peut plus en sortir. Aujourd’hui, en France, il est très compliqué, voire décourageant, de créer sa propre entreprise. Les charges patronales et la fiscalité tuent les entrepreneurs, mais aussi les idées brillantes. Les allocations devront être financées, mais l’État ne dispose d’aucune ressource naturelle pour créer sa richesse. Revenons à Maurice. Qui financera cette aide ? Elle sera nécessairement puisée de nos poches, soit en haussant les barèmes fiscaux ou encore en élevant les charges patronales. Ce n’est donc pas la bonne solution. Il faut plutôt attaquer le problème autrement. Par exemple, par le biais des incitations pour la création de l’emploi, l’augmentation du pouvoir d’achat, le développement économique. Comme dit cet adage: “do not give a man a fish, teach him fishing.” C’est ce que nous faisons ! Nous faisons du palliatif ! 

D'ailleurs, dans le but de booster voire de redynamiser l'économie, le gouvernement avait annoncé une pléthore de nouveaux secteurs. On entend peu parler de ces nouveaux secteurs. Votre avis.

L’effet d’annonce séduit, et a toujours fait son effet. À vrai dire, nous n’avons pas besoin de bûcher comme des fous pour développer ces nouveaux secteurs car nous avons déjà des atouts. Encore une fois, pourquoi ne pas remettre l’agriculture au diapason du nouveau monde afin d'accroître l’autosuffisance alimentaire ? Pourquoi ne pas mettre l’accent sur le secteur informatique qui a déjà des bases solides ? Les infrastructures sont là, les investisseurs aussi… mais le développement des compétences ne suit pas. Le secteur touristique est toujours sur un modèle économique qui doit avoir plus de 20 ans ! Le secteur sportif qui brasse des millions dans tous les autres pays, est inexistant à Maurice ! 

Bien qu’on soit loin de l’objectif d’un million de touristes, néanmoins, le tourisme en a connu une certaine reprise. Pensez-vous que suite à cette reprise du tourisme, on a commencé à nous reposer sur nos lauriers et jeter aux oubliettes les nouveaux secteurs ?

Ce serait fatal. La reprise du tourisme ? Doit-on se fier à une reprise ou penser à nous améliorer ? Le tourisme mauricien n’existe pas réellement. Le secteur hôtelier est une industrie qui nourrit sélectivement et qui ne profite nullement aux Mauriciens. Fini le temps où le touriste mangeait dans le petit boui-boui du coin. À qui profite le tourisme ? Aux hôtels, qui étaient d’ailleurs les premiers bénéficiaires des aides de l’État durant la pandémie. Le tourisme fait partie des secteurs aux assises solides, mais qui nécessite un nouveau traitement. Il y a combien de parcs d’attractions à Maurice ? Combien de casinos ? Avons-nous réellement un secteur de loisirs ? Quel est le ticket moyen d’un touriste ? Où dépense-t-il son argent ? Ce sont autant de questions qui demeurent sans réponse. Non, à mon avis, il y une hausse dans les mouvements touristiques, mais je ne m’aventurerai pas à parler de ‘fulgurante reprise’. Grosso modo, je trouve plus pertinent de revoir les assises du tourisme, avant de s’aventurer dans les nouveaux secteurs.

Un des secteurs qu'on a longtemps parlé et qui serait bénéfique pour Maurice est l'économie circulaire. Il y a même des entreprises à Maurice qui évoluent dans ce domaine. Pourquoi ce secteur peine à décoller ?

Pour les mêmes raisons avancées plus haut. Démarrer un nouveau secteur ne nécessite pas uniquement une annonce. Cela requiert d’une étude en profondeur, en termes de législation, les incitations, l’étude de marché, les compétences et la formation, les ressources et la stratégie, entre autres. Avons-nous établi ou défini ces points ? Si oui, je ne les ai pas vus.  Je ne perçois que des initiatives personnelles. Nous n’avons pas d’action concertée qui puisse adresser collectivement les défis de notre pays. Cet état des choses découle certainement de l’absence d’une stratégie définie, d’un ‘roadmap’ ou encore d’une ligne directrice nationale.

Pensez-vous que ce nouveau budget viendra de l'avant avec de nouveaux secteurs ?

Comme tous les budgets, et tous les régimes précédents, il y aurait probablement diverses annonces. Quelques mesures seront mises en place et pour le reste, il faudra patienter. Je pense que le gouvernement s'attaquera plutôt aux problèmes immédiats et tente de jonglera entre le social et l’économie. Je pense que l’accent sera mis sur le social. Pour ce qui est des nouveaux secteurs, il faudra d’abord établir un certain équilibre dans les entreprises - et donc chez les investisseurs et entrepreneurs - car nous atteignons des niveaux frisant le découragement de par l’augmentation des charges patronales. Quid des nouveaux secteurs ? Je ne pense pas que ce soit la priorité du moment.

Qu'attendez-vous de ce budget 2023/2024 ?

En tant qu 'entrepreneure, je souhaiterai des mesures qui puissent booster l’esprit entrepreneurial de nos jeunes ; car il y a des cerveaux et des talents de tous côtés, mais qui nécessitent un encouragement. Beaucoup ont été par rapport aux procédures entourant la création d’entreprise, mais la cacophonie persiste. Par exemple, au niveau de l’ouverture des comptes bancaires. Chaque banque semble avoir son propre ‘Banking Act’ et cela devient un exercice frustrant pour beaucoup. Autre exemple, les permis d’exploitation pour des activités touristiques. Il existe de nombreux points, qui sont non-discutés. Ajoutons les charges patronales, avec l’introduction de la CSG qui décourage l’esprit d’entreprise et la création d’emploi. Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, les entrepreneurs sont poussés à réduire leurs effectifs en les remplaçant par les machines. Je m’attends donc à ce que ce budget prenne en compte ces tendances et se focalise aussi sur  l’industrie 5.0.

Par ailleurs, il est impératif de mettre en place une stratégie pour résoudre le manque de main d’œuvre dans divers secteurs et de pallier le problème de fuite des cerveaux, auquel Maurice est confronté. Il faudrait un budget alloué à la formation, le recyclage des compétences et des incitations pour encourager la diaspora mauricienne à retourner au bercail.

En tant que citoyenne de l’Ile Maurice, j’aimerai que ce budget ne tienne pas sur le fil d’une élection générale de fin de mandat, prévue pour 2024. Il nous faut nous adresser aux vrais enjeux économiques, pas aux fantasmes de l’électorat. Un budget courageux serait un budget qui ne tient pas en compte les prochaines élections, mais qui remet sur les rails l’économie et ce, par un traitement de fond. C’est presque qu’une utopie, mais il faut revoir la TVA, revoir le fonctionnement ‘Price Mechanism’ des prix de carburants, investir dans les secteurs prioritaires, revoir notre stratégie sectorielle. 

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