Kartigayen (Ansen) Pillay Iyaloo, Entrepreneur et Consultant : « Pour les prochaines générations de Mauriciens, nous avons besoin d'une économie saine, pas d'une économie formelle sinistre et d'une économie informelle surpuissante »

 Depuis le début de cette année, l'économie souterraine défraye la chronique et s’empare de la une des journaux locaux. Cette économie tapie dans l’ombre est selon, l’entrepreneur et consultant, Kartigayen (Ansen) Pillay Iyaloo, la preuve que les Mauriciens n’arrivent pas à joindre les deux bouts. 


Même si elle est sous-jacente, l'économie souterraine fait depuis quelques mois la une des journaux mauriciens. Grosso modo, qu'est-ce l'économie souterraine ?

Un marchand de gâteaux qui opère l'après-midi devant le portail d'un collège et accepte des paiements en espèces de la part des étudiants ; ou un employé de banque qui conduit un taxi non déclaré – taxi marron - après sa journée de travail ; ou une femme de ménage travaillant dans 3 maisons la journée et dans un restaurant la nuit ; ou un prof le jour et un jardinier la nuit ; ou un électricien d’une usine qui répare un circuit dans la maison de son voisin, en échange d'un paiement en espèces ; ou un employé en entreprise, mais aussi pâtissière après les heures de boulot et durant le week-end; ou un trafiquant qui conclut une vente de stupéfiants avec un client potentiel au coin d'une rue ; un officier du service publique qui reçoit une somme de deux mille roupies en échange de l'octroi d'un permis ; ou un autre qui ferme les yeux sur une infraction au code de la route en échange d'un billet dans le permis de conduire - ce sont quelques exemples des activités – légales ou illégales qui constituent de l'économie souterraine à Maurice. La chose commune est que ces activités ne sont pas enregistrées dans les livres et échappent à l'attention de la Mauritius Revenue Authority (MRA) et des statisticiens nationaux. Toutes ces activités, qui génèrent des milliards de roupies par an, forment l'économie souterraine, également connue sous le nom d'économie informelle. La criminalité et les activités économiques souterraines sont depuis longtemps une réalité - et, pour l'instant, elles sont en augmentation dans le monde entier comme on a pu lire dans les journaux ces derniers mois.

Est-ce que l'économie souterraine est-elle une caractéristique d'un pays industrialisé ou d’une société qui lutte pour sa survie ?

Je pense que c’est plutôt un signe qu’il y a une grande difficulté à rejoindre les deux bouts, et que les institutions ne favorisent pas, n’autorisent pas et ne supportent pas une économie soutenable et formelle – et donc, les personnes préfèrent joindre les deux bouts ou d’avancer par leurs propres moyens au lieu de déclarer leurs revenus.

En se basant sur le produit intérieur brut (PIB) ou le revenu moyen par habitant ou habitant (per capita income), on peut, donc, classifier Maurice comme un pays industrialisé/développé – et ce type de pays, en effet, ont une économie complexe. Maurice a un environnement et une structure qui favorise la prolifération de telles activités – que ce soit en termes juridique, fiscal, politique, économique, commerciale, entre autres. Maurice est devenu un pays à revenu élevé en juillet 2020 (sur la base des données de 2019). Toutefois, l'impact de la pandémie de COVID-19 a entraîné un retour au statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure en 2021. Depuis, une grande majorité de la population a un travail stable en journée et se tourne vers un business de vente de produits ou de services dans la soirée.  En effet, le salaire mensuel ne semble pas permettre à la majorité des Mauriciens de mener une vie confortable et convenable.

Parlez-nous des dangers liés à l'économie souterraine.

 

Tout d'abord, il est difficile d'estimer la taille de l'économie souterraine. Bien entendu, les personnes engagées dans des activités clandestines font de leur mieux pour ne pas se faire prendre. Afin de prendre des décisions éclairées sur l'allocation des ressources, les mesures budgétaires et les charges sociales et fiscales – les chiffres doivent être précis. Deuxièmement, les indicateurs monétaires, les indicateurs économiques, les taux de participation et les statistiques sont faussés parce que les chiffres ne fournissent pas les informations actuelles. Outre les effets négatifs sur la croissance économique, les services publics et les taux de participation de la main-d'œuvre, l'économie souterraine freine le développement et favorise un environnement malsain et non durable. Les dangers auxquels notre pays est confronté sont un taux de chômage très élevé chez les jeunes, une fuite des cerveaux conséquente et accentuée vers le Canada, l’Australie, l’Asie et même l’Europe, des moments périlleux tels que le récent rapport du GAFI duquel Maurice a dû travailler dur pour restaurer un certain dynamisme et une certaine crédibilité dans notre pays, une baisse du taux d'investissement et des projets d'investissement, et la hausse dans le taux des crimes, pour n'en citer que quelques-uns.

L'image du pays prend donc un coup…

Oui, que ce soit sur le plan local et international, la côte de Maurice a baissé. Le dernier rapport de IIAG a laissé entendre que Maurice n’est plus une référence sur le continent africain. L’épisode GAFI a donné une mauvaise réputation au pays. Les sujets d’actualités sur la corruption, la mauvaise gouvernance, les meurtres et les trafiquants et mafias n’aident pas notre image. Devenons-nous un pays où les touristes devront réfléchir à deux ou trois fois avant de payer leurs billets ? Partons-nous vers une crise sociale et économique ? On nous dit que tout va bien compte tenu de la crise économique mondiale, mais l’écart entre les riches et la classe moyenne ainsi que les pauvres ne cesse d’augmenter. Pour les prochaines générations de Mauriciens, nous avons besoin d'une économie saine, pas d'une économie formelle sinistre et d'une économie informelle surpuissante.

Alors que le pays est plus que jamais vulnérable, avec notamment un marché du travail de plus en plus sélectif, des jeunes diplômés sans emplois, etc.., ces personnes sont-elles pas des appâts faciles pour l'économie souterraine ?

Ils sont par défaut les victimes de l'héritage de nos ancêtres, des forces de la mondialisation, des conséquences du COVID et, en fin de compte, de l'époque dans laquelle ils vivent. La population active n’a pas le choix de rejoindre l’économie souterraine afin de subvenir aux besoins de la société. Je ne pense pas que ces personnes aient vraiment le choix, car d’un côté il n’y a pas beaucoup d'opportunités dans l’économie formelle, et de l’autre, les salaires disponibles ne comblent pas les besoins de base. Ils ne sont pas forcément des appâts faciles mais plutôt des victimes du système et c’est plutôt question d’ADAPT OR PERISH.

Dirigeons-nous vers une nation en danger ?

Nous sommes déjà en danger - en même temps que le monde fait face à des changements sans précédent. Là, le changement nécessaire devrait prendre la forme d'une mesure à la Modi pour s'attaquer à l'argent non déclaré dans l'économie informelle. Les séquelles de ce choc seront ressenties pour quelques mois, mais les résultats seront positifs. Nous avons besoin d’une nouvelle dynamique économique, un travail assidu axé sur l’efficacité et une meilleure allocation des ressources.

Pourquoi l'économie souterraine demeure incontrôlable ?

Cela fait partie de l’ADN de l’économie souterraine et sa nature d'être de l'autre côté de la loi et cela restera donc quelque chose qui évolue constamment avec son temps. Il y aura toujours des lacunes à combler en tant que personnes ambitieuses ou en difficultés, les Mauriciens trouveront toujours un moyen de survivre et de prospérer. Contrôler tel une activité est impossible, car les différents acteurs adhérant sont toujours en quête de solution vers une prospérité rapide.

Y existe-t-il des solutions pour endiguer cette activité ? Comme une création d'une section spécialisée dans le crime organisé comme c'est le cas aux Etats-Unis ?

Une section spécialisée dans le crime organisé pourrait aider dans un certain niveau, mais ça ne résoudra qu’une partie du problème. Nous proposons que la solution passe par une approche en quatre phases : la prévention, le renforcement des capacités des individus, la promotion de la création de richesses par des incitations fiscales et la mise en place d'une plateforme pour promouvoir le commerce légal et équitable.

S'attaquer à la circulation des billets de Rs 500, Rs 1000 et Rs 2000 pour les paiements en espèces non-déclarés est un défi et ce n'est pas quelque chose que nous pouvons faire régulièrement à la manière de Modi. Cependant, la promotion du commerce par des moyens virtuels à travers un système réglementé devrait être la voie à suivre pour tous les paiements d'un certain montant. Les paiements supérieurs à Rs 200 devraient être effectués par carte, par chèque ou par voie numérique.

La mise en place d'une plateforme équitable et avantageuse encourage très probablement les individus à ne pas s'engager dans des activités cachées. Un taux d'imposition progressif a du sens dans une large mesure pour l'île Maurice. Cependant, il dissuade les gens de dépasser un certain seuil - ne devrions-nous pas plutôt essayer de stimuler l'activité économique et de récompenser l'esprit d'entreprise ?

La prévention par la mise en place d'une unité désignée pour les transgresseurs continuera à faire partie intégrante de la plupart des pays développés où les activités criminelles prospèrent. Toutefois, il s'agit davantage d'une solution réactive qui ne présente pas des avantages durables à long terme. Nous pensons que l'accent devrait être mis sur l'éducation et le renforcement des capacités pour l'entreprenariat en utilisant des techniques légitimes et durables.

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