Marjorie Ayen: « Le bullying laisse des séquelles et il est très important d’en guérir »

Le bullying, qu’il soit physique ou verbal, doit être pris au sérieux. Marjorie Ayen, consultante en la matière, évoque son expérience personnelle, les traces que laisse cet acte réprouvé sur les victimes, mais aussi les moyens de l’endiguer.


Marjorie Ayen, vous êtes une consultante en anti-bullying. Qu'est-ce qui vous a incité à évoluer dans ce domaine?

Je suis consultante en harcèlement car je l’ai moi-même subi au travail. J’ai été prof au secondaire pendant 15 ans et j’ai été ciblée par des collègues pendant 8 ans. J’ai dû démissionner de mon poste en raison des problèmes de santé liés au bullying subi au travail. Après ma démission, j’ai voulu donner un sens à ma propre souffrance et tendre la main aux enfants et aux adultes qui ont aussi subi cela ou qui en subissent actuellement. J’ai donc décidé de me former en Bullying Awareness and Prevention et en counselling skills. J’ai eu la chance de suivre plusieurs formations dispensées par des plateformes éducatives et universitaires et des organisations professionnelles, gouvernementales et non-gouvernementales. Et forte de mon expérience personnelle du workplace bullying et de l’expérience d’avoir promu la lutte contre le bullying dans mon école et d’avoir encadré certaines victimes, je suis apte à guider tous ceux et celles qui viennent me consulter.

Justement, le sujet tombe à pic. Votre avis.

Je pense que le bullying a toujours existé mais est heureusement dénoncé de plus en plus sur les réseaux sociaux. Le bullying est une violence et un fléau dans notre société. C’est un phénomène universel et Maurice n’en est pas épargné.

Pourquoi retrouve-t-on tant des actes de bullying dans les écoles? Quelles en sont les causes?

Premièrement, il serait bon de faire ressortir qu’il y a eu toujours eu des cas de bullying dans les écoles. Les avancées technologiques comme les smartphones et les réseaux sociaux ont rendu cette triste réalite plus visible.

Mais je pense aussi qu’il y a de plus en plus de cas de bullying dans nos écoles et ce, pour plusieurs raisons.

Une des causes est l’influence des médias. Beaucoup d’enfants et d’adolescents sont ciblés en raison de leur apparence physique qui ne serait pas conforme au physique idéal véhiculé par les médias. Par exemple, un jeune peut être ciblé à cause de son acné, ou parce qu’il/elle est trop gros/grosse ou trop maigre, ou trop court/courte ou trop long/longue. Les cheveux bouclés et crépus sont aussi un prétexte pour certains de persécuter leurs camarades de classe.

 Une autre cause est le matérialisme. Des enfants de plus en plus jeunes peuvent cibler un camarade de classe car ‘li ena cash’ ou porte une grande marque de chaussures alors que ces chaussures ne sont qu’un modèle copié de l’original.

Une autre raison est que beaucoup d’enfants sont exposés à la violence à la maison ou sont livrés à eux-mêmes. Malheureusement, de nos jours, la cellule familiale est beaucoup plus fragile en raison d’un taux plus élevé de familles brisées, des deux parents qui travaillent et qui n’accordent suffisamment pas de temps à leurs enfants, des effets négatifs de la technologie comme la dépendance au portable/à la tablette et aux réseaux sociaux et des fléaux touchant leur famille comme la drogue. Les enfants peuvent manquer de repères et aussi souffrir d’un manque affectif. Ainsi, ils peuvent reproduire la violence qu’ils vivent à la maison ou se défouler sur leurs camarades de classe à l’école.

Comme vous l’avez dit, cen'est pas un phénomène récent. Je prends mon exemple, après mes résultats de la SC en poche, j'ai poursuivi mes études dans une école mixte et je suis rapidement devenue la cible des filles et de quelques garçons de cette école, qui se moquaient de mon apparence physique. Aujourd'hui, ce qui change est que les gens ne craignent pas de dénoncer. Votre avis.

Dénoncer est très important car le silence ne fera qu’encourager le harcèlement. Mon calvaire a pris fin quand j’ai décidé de dénoncer le bullying dont j’étais victime au travail. Je suis d’avis qu’il y a de plus en plus de victimes et de témoins qui dénoncent, surtout sur les réseaux sociaux mais qu’il y a toujours beaucoup de victimes qui craignent de dénoncer par peur de représailles. Ceux qui dénoncent le font car ils peuvent prendre exemple sur les vidéos étrangères ou mauriciennes postées sur les réseaux sociaux qui dénoncent cela. Dans certaines écoles, les élèves sont encouragés à dénoncer ce qu’ils subissent et à ne pas souffrir en silence. Le message fort que les représailles ne seront pas tolérées est mis en avant.

Cependant, il y a toujours beaucoup de victimes qui craignent de dénoncer. Certaines personnes qui ont recours à mes services craignent de dévoiler quelques détails au sujet d’elles-mêmes/ou de leur(s) persécuteur(s). Certaines sont tiraillées entre le désir de se confier, de se soulager d’un fardeau qu’elles portent parfois seules et la peur que ce qu’elles m’ont confié remonte jusqu’à leur(s) persécuteur(s). Pour les mettre à l’aise, j’offre l’option si elles veulent se confier à visage découvert ou non.

Comment peut-on endiguer ces actes de bullying, de la part des écoles mais aussi des parents de ces enfants qui le pratiquent?

Je vous dresse une liste de points que j’aborde avec plus de détails dans ma formation sur le harcèlement scolaire pour le personnel enseignant et non-enseignant et pour les parents. Veuillez noter que les points ne sont pas en ordre de priorité.

De la part des écoles:

 

ü  Politique anti-harcèlement (policy)

ü  Mention de la politique anti-harcèlement dans le code of conduct/ programme d’initiation/réunions des parents

ü  Traitement de plaintes et suivis

ü  Sanctions constructives

ü  Un psychologue/counsellor dans chaque école tous les jours de la semaine

ü  Mention/discussion/rappel du bullying lors des réunions avec le personnel enseignant et non-enseignant

ü  Travailler sur le thème du bullying dans les classes de valeurs humaines/religion/ l’éducation civique

ü  Aborder les thèmes comme l’empathie, la gentillesse, le respect non seulement dans les classes de valeurs humaines etc. mais aussi dans les ‘subjects areas’

ü  Briser les mythes: le bullying fait de toi un homme, la victime est faible etc.

ü  Aborder le bullying de temps à autre lors des assemblées matinales

ü  Superviser les récréations, les couloirs/toilettes/classes surtout lors des moments libres

ü  Donner l’exemple aux élèves- pas de harcèlement au niveau du staff

ü  Formations/Causeries

ü  Rappel aux élèves de ce qu’est le bullying

ü  Briser la loi du silence- victimes et témoins – les encourager à rapporter des cas

ü  Les class captains et les bus prefects doivent rapporter les cas

ü  Caméras (cour/préau/couloir)

ü  Observation du climat de travail/Culture de respect et d’intégration/Sécurité

ü  Visibilité: posters dans chaque classe et sous le préau

ü  Un Anti-Bullying club dans chaque école

ü  Aucune tolérance s’il y a des répercussions

ü  Un discipline master

De la part des parents:

ü  Donner le bon exemple à la maison

ü  Inculquer des valeurs comme le respect, la gentillesse, l’empathie

ü  Prendre au sérieux les conflits entre frères et soeurs

ü  Etre à l’écoute de votre enfant

ü  Dialoguer avec son enfant

ü  Aide psychologique à l’enfant qui persécute

ü  Encadrer son enfant- l’observation

ü  L’encourager à s’exprimer et à se défouler

ü  Forger l’estime de soi de leur enfant

Aujourd'hui encore, personnellement, ces actes de bullying ont laissé des séquelles dans ma vie. Par exemple, je me questionne souvent sur mon apparence physique et je ne trouve que mes défauts physiques. Je me pose souvent la question : Est-ce qu'un tel me trouve belle?, etc..  Est-ce que les actes de bullying laissent -t-il des séquelles ?

Oui définitivement. Le bullying laisse des séquelles et il est très important d’en guérir.

La guérison peut prendre des semaines, des mois ou des années mais elle est possible. Ne pas en guérir, c’est continuer à être sous l’emprise du bullying qu’on a subi. La guérison est possible grâce à différentes modalités de guérison, selon nos goûts, croyances et moyens financiers. Par exemple, un suivi psychologique, la méditation, le reiki, la prière, l’art, la musique, le qigong etc.

Et parfois ces séquelles peuvent sommeiller en nous jusqu’à ce qu’il y ait un élément déclencheur pour les remettre sur le tapis. Par exemple, quand j’avais décidé de prendre des cours de public speaking quelques mois après ma démission, je m’étais déjà fixé le but de faire du Bullying Awareness and Prevention. J’avais déjà un bagage pour exprimer mes idées clairement car j’étais prof de langues et de Social Studies, mais je devais acquérir d’autres techniques pour mieux m’exprimer en public et ainsi mieux faire passer mes messages contre le bullying. D’ailleurs, grâce à cette formation en public speaking, entre autres, j’ai récemment dispensé avec succès une formation sur le harcèlement dans une entreprise.

Cependant, prendre ces cours à cette période-là, a fait remonter à la surface des séquelles, que moi, je croyais avoir guéri: anxiété sévère et somatisation. Après ces cours, j’ai dû recommencer à avoir recours à quelques modalités de guérison. Parfois l’on croit avoir complètement guéri alors que c’est beaucoup plus complexe que cela. La guérison prend du temps, mais elle n’est pas impossible. Il est important d’investir son temps, son énergie et son argent dans des modalités de guérison qui vous permettront de ne plus être victime de ce que vous avez subi.

Comment apportez-vous votre aide à ces victimes du bullying?

 

Je les amène à voir leur problème sous un autre angle, en les aidant à se focaliser sur les solutions au lieu de leur problème. Je les écoute d’une oreille attentive et parler à quelqu’un qui a aussi fait l’expérience du bullying les soulage aussi car je peux comprendre leur souffrance.

Une question me taraude: Une fois qu'on pratique le bullying, en grandissant, ces personnes deviennent agressives à l'égard des autres adultes?

Malheureusement, un jeune persécuteur va récidiver jusqu’à ce qu’il se sente mieux dans sa peau, n’est plus influencé par son ‘peer group’ à persécuter ses camarades de classes ou arrive à trouver des solutions à tout autre problème qui le pousse à persécuter son prochain. Il existe aussi des méthodes non-punitives comme la méthode de la préoccupation partagée du psychologue Anatol Pikas qui fait appel à l’empathie des persécuteurs et les amène à se concentrer sur ce qu’ils peuvent faire afin de cesser de cibler leur victime. Cette méthode peut empêcher la récidive chez les persécuteurs. Au cas contraire, un enfant qui persécute à l’école peut malheureusement persécuter à l’âge adulte, notamment au travail.


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