Marjorie Ayen : « Le bullying vécu est un traumatisme et qu’ils présentent des symptômes comme des cauchemars, des flashbacks et des trigger »
C’est un véritable fléau qui s’installe de plus en plus dans les environnements professionnels. Marjorie Ayen met le doigt sur un sujet tour à tour épineux et tabou dont certains y préfèrent ignorer l’existence. Il s’agit du bullying au travail.
On a
tendance à parler davantage de bullying à l’école, mais
rarement au boulot. Alors que le bullying professionnel est une réalité.
Pourquoi le bullying au travail est fort peu évoqué ?
Le bullying
professionnel est bel et bien une réalité. Cependant c’est un sujet délicat et
tabou.
Est-ce la honte qui
incite les victimes à ne pas évoquer le bullying qu’elles
subissent au travail ?
La honte est en effet
un facteur dissuasif.
La victime peut se
remettre en question et croire qu’elle mérite ce qui lui arrive. D’où ce
sentiment de honte. Elle peut aussi éprouver de la honte, car elle est blessée
dans sa dignité et aussi humiliée devant des collègues. Elle peut aussi être
dure envers elle-même et être honteuse de se laisser malmener par son
persécuteur ou un groupe de persécuteurs. La peur du jugement des autres se
mêle aussi à cette honte, car la victime peut craindre d’être jugée comme faible.
Je tiens à dire que
le bullying peut arriver à n’importe qui et que la victime a fait ce qu’elle a
pu avec les ressources qu’elle avait à ce moment-là. De plus, le bullying
implique un déséquilibre de pouvoir et la victime est souvent seule face à un
persécuteur manipulateur et pervers ou à un groupe de persécuteurs.
Un autre facteur qui
inciterait les victimes à souffrir en silence est la peur que dénoncer leur
calvaire ne se retourne contre elles. Elles peuvent avoir peur de se retrouver
dans des situations où l’on protège leurs harceleurs ou qu’elles soient
persécutées davantage ou renvoyées parce qu’elles ont osé dénoncer leur
calvaire. Il y a donc la peur des représailles. Elles peuvent aussi craindre de
ne pas être crues ou que leur situation de harcèlement ne soit banalisée.
Parlez-nous des
effets de ce type de bullying sur les adultes ?
Je vous dresse une
liste non-exhaustive des effets :
·
Baisse
de l’estime de soi
La
nature même du bullying est d’humilier la victime systématiquement. Son estime
de soi en prendra donc un sale coup.
·
Baisse
de performance
La
victime aura du mal à se concentrer sur son travail.
·
Absentéisme
La
victime peut tomber souvent malade et devra prendre pas mal de sick leaves.
·
Repli
sur soi/Isolement
Une
victime peut se replier sur elle-même pour se protéger.
·
Anxiété/Crises
d’angoisse
Comme
le bullying est une accumulation d’incidents humiliants, la victime peut
devenir de plus en plus anxieuse et peut même faire l’expérience de crises
d’angoisse.
·
Déprime/Dépression
Il y
a des victimes qui broient du noir et peuvent souffrir de déprime. D’autres
peuvent faire une dépression.
·
Somatisation
(fièvre, maux de tête, maux de ventre etc)
Le
stress/la souffrance émotionnelle que subit la victime peut se manifester
physiquement à travers de la fièvre, des maux de tête, des maux de ventre etc
·
Troubles
du sommeil
La
victime peut faire des cauchemars, souffrir d’insomnie etc
·
Problèmes
de santé : hypertension/problèmes cardiaques/AVC
Une victime qui souffre déjà d’hypertension ou de problèmes cardiaques et
qui est stressée par le bullying qu’elle subit, risque de faire des malaises.
Une victime de bullying stressée peut même faire un accident vasculaire
cérébral (AVC). Et ces malaises peuvent parfois s’avérer fatals.
·
Le
harcèlement peut conduire au suicide.
Le bullying peut pousser une victime à commettre l’irréparable.
Est-ce que le
bullying au travail peut conduire à la dépression, le ‘burn-out’ et
donne vie aux idées noires ?
Oui en effet. Chaque
personne réagira différemment mais certaines victimes peuvent faire une
dépression ou font un ‘burn out’. Souvent cette dépression ou ce burn- out est
accompagné d’idées noires. Il y a des victimes de workplace bullying qui ont
des pensées suicidaires et certaines peuvent faire des tentatives de suicide.
Je tiens à préciser que le suicide n’est pas une cause directe du bullying. Il
y a d’autres facteurs qui entrent en jeu. Cependant, le bullying peut pousser
une victime à commettre l’irréparable.
Justement,
parlez-nous de la forme du bullying au travail. Est-ce verbal ou plus ?
Le bullying est
principalement axé sur deux formes : physique et psychologique.
La violence
psychologique regroupe la violence verbale, le harcèlement social et le
cyberharcèlement.
Le harcèlement
physique n’est pas commun dans le monde du travail. Les adultes vont harceler
de manière beaucoup plus subtile. Cependant il y a un aspect du harcèlement
physique qui touche le monde du travail et c’est le vol des effets personnels
d’une victime. J’ai moi-même subi cela quand des calendriers, un DVD éducatif
et même les cahiers de mes élèves ont été volés sur et dans mon pupitre au
staff room. Il y aussi des victimes dont les effets personnels ont été détruits
ou vandalisés.
La violence verbale
est une forme de violence psychologique. La victime peut recevoir régulièrement
en pleine figure des insultes, des mots blessants et humiliants et des cris de
la part de son persécuteur ou persécuteurs. La personne ciblée peut aussi être
victime de gaslighting. Son persécuteur manipulera la victime, en déformant ses
propos et en instaurant le doute dans la tête de la victime.
Cependant la violence
verbale peut devenir du harcèlement social quand le persécuteur se sert des
rumeurs et des ‘palabres’ pour humilier et isoler la victime. Je tiens à
préciser qu’être la cible de rumeurs et de ‘palabres’ de temps à autre n’est
pas du bullying. Cela arrive à tout le monde. Cependant, quand une victime, est
tous les jours ou plusieurs fois par semaine et ce durant des semaines ou des
mois, victime de rumeurs et de palabres, il est très probable que ses
persécuteurs se servent de la rumeur et des ‘palabres’ comme d’une arme pour
lui nuire et l’isoler. Un autre exemple de harcèlement social est de faire
exprès d’exclure la victime. Cette dernière ne sera pas invitée à une fête ou
ne sera pas au courant d’une réunion etc.
Il y a des victimes
de workplace bullying qui sont aussi victimes de cyberharcèlement. Le
harcèlement qui a déjà commencé au travail continue en ligne.
Du coup, comment
conscientiser sur ce type de bullying ?
Il est important de
sensibiliser les employés et les employeurs au workplace par le biais des
formations. Il est aussi important de rendre la lutte contre le harcèlement
visible à travers des supports visuels, soit des posters et des stickers.
Vous
avez été vous-même victime de bullying au travail. Comment avez-vous
traversé cette épreuve ? Comment avez-vous remonté la
pente ?
J’ai été ciblée au
travail par plusieurs groupes de collègues. Le bullying a duré 8 longues années
durant lesquelles j’étais chroniquement malade. J’ai souffert en silence
pendant des années parce que je subissais du ‘covert bullying’ ; c’est-à-dire
une forme de bullying très sournoise, que je ne pouvais pas prouver. Mais j’ai
pu mettre fin à ce harcèlement en lançant un Anti-Bullying Club pour les élèves
tout en dénonçant ce que moi-même je subissais. Cependant, mon état de santé ne
s’était pas amélioré, car j’avais beaucoup encaissé durant ces 8 années de
calvaire. Je souffrais donc de pas mal de séquelles. De plus, mon environnement
de travail était toujours toxique pour moi vu que mes anciens persécuteurs
faisaient comme si de rien n’était et que travailler dans cet environnement me
faisait sans cesse rappeler le passé. J’ai donc pris la décision de
démissionner après 15 ans.
Ne plus travailler
dans cet environnement toxique m’a fait le plus grand bien. Puis, j’ai
décidé que j’allais faire de mon expérience une force et j’ai commencé à suivre
des formations en Bullying Awareness and Prevention et je me suis associée à
l’Anti-Bullying Alliance (ABA), une association britannique qui lutte contre le
harcèlement scolaire.
Le bullying au
travail laisse donc des séquelles…
Oui. La plupart des
victimes de workplace bullying ne s’en sortent pas indemnes. Le bullying laisse
souvent des séquelles à long terme, qui peuvent durer des semaines, des mois ou
des années, dépendant de chaque cas.
Il y a des victimes
qui peuvent souffrir de stress post-traumatique. C’est-à-dire, que le bullying
vécu est un traumatisme et qu’ils présentent des symptômes comme des
cauchemars, des flashbacks et des triggers bien après la fin du bullying.
D’autres victimes
peuvent continuer à souffrir d’anxiété, de dépression ou d’une mauvaise estime
de soi. C’est pourquoi il est très important de prendre soin de soi et de se
donner le temps et les moyens de guérir.
Comment venez-vous en
aide aux victimes du bullying au travail ?
Je ne propose pas de
thérapie, car je ne suis pas thérapeute. Cependant, je reçois des victimes de
bullying qui se sentent perdues ou esseulées face au bullying qu’elles
subissent. Comme je suis une personne externe, je les amène à voir leur
situation sous un autre angle. Et je les sensibilise aux démarches qu’elles
peuvent entreprendre pour que leur situation de bullying cesse. Certaines
victimes ont déjà une idée de ce qu’elles devraient faire dans leur situation
et se tournent vers moi pour s’assurer qu’elles vont dans la bonne direction.
Le bullying au
travail est-il un phénomène nouveau ?
Non, cela a toujours
existé. Cependant, de nos jours, il y a des victimes qui dénoncent ce fléau.
Les réseaux sociaux ont surtout facilité cela mais la presse parlée et écrite
joue aussi leur rôle à dénoncer ce fléau.
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